« Mon beau-frère est mort d’un cancer foudroyant il y a 18 mois. Depuis, ma sœur passe son temps à échanger sur lui avec d’autres internautes et elle va lui parler au cimetière deux fois par semaine. Devrais-je m’inquiéter ? »
« Vivre le deuil »
La perte d’un être cher est une expérience dévastatrice pour de nombreuses personnes. Il y a tellement d’éléments qui entrent en ligne de compte dans cette période troublée qui suit un décès.
Les endeuillés cherchent du réconfort autours d’eux, ils ont besoin d’être écoutés, soutenus, ils ont besoin de parler du défunt, de raconter des souvenirs, d’écrire, en quelque sorte le dernier chapitre de la « biographie » de l’être aimé.
C’est à cela que servaient les rites funéraires, les veillées de prières autour du corps du défunt, les repas d’enterrement qui étaient si courants, il y a encore quelques décennies.
Les services funèbres apportaient du réconfort aux proches dans le chagrin, ils disaient quelque chose d’une espérance quant à une vie future, après la mort. Ce qu’on voit actuellement, c’est une diminution de tous ces rites, ce sont les services funèbres fait dans « la plus stricte intimité », ou alors « sans paroles », trente minutes de musique dans une chapelle grise d’un funérarium, en guise d’adieu. La crémation avec dissémination des cendres dans les endroits les plus improbables, enlève encore le lieu du souvenir, l’endroit où se recueillir sur la tombe du défunt.
Au milieu de toutes ces transformations relativement rapides, de nombreux endeuillés sont déboussolés. Il n’y a plus de repères stables. De nouveaux modes d’expression du deuil fleurissent : des cimetières virtuels sur internet, des forums, des pages sur Facebook, des « mémoriaux » créés sur Twitter, Facebook ou Instagram où des internautes se donnent du réconfort entre eux, partagent leurs souvenirs de la personne décédée ou s’adressent directement à la personne décédée : « Tu me manques tellement », « Je n’arrive toujours pas à croire que tu es morte ».
Selon le professeur Bonanno, de l’Université de Columbia, à New York, les endeuillés ont tellement besoin de parler du défunt et de recevoir du soutien, ce qu’ils ne trouvent plus autour d’eux, qu’ils ont recours à cette communauté plus large et lointaine qui joue maintenant le rôle que jouait la communauté villageoise dans le temps.
La dissémination des cendres ne permettant plus un lieu de recueillement où la personne est identifiée, la plus souvent, c’est sur Internet que l’on peut déposer des photos, des fleurs.
Le cimetière de la Fédération des coopératives funéraires du Québec (fcfq.coop) offre la possibilité de mettre une page de biographie sur le défunt, des photos, des messages personnels, des souvenirs audios ou vidéos, l’envoi automatique de courriels aux dates anniversaires.
Échanger avec d’autres à propos du défunt, recevoir des photos, audios, ou vidéos à propos de périodes de sa vie, qu’ils ne connaissaient pas, par des amis d’enfance ou famille éloignée, cela permet de mieux connaître encore celui ou celle qui les a quittés.
Concernant le fait de s’adresser directement au défunt
Des chercheurs ont analysé des sites sur Facebook et vu que le 77% des visiteurs adolescents parlent au défunt directement, « Tu étais tellement chouette, j’espère que tu es bien là où tu es ! »
Ainsi, parler au défunt, s’adresser à lui ou elle, à haute voix, lorsqu’on va sur sa tombe, cela n’a rien d’inquiétant.
Au contraire, la plupart des gens sont parfaitement conscients que leur défunt est mort et beaucoup d’entre eux disent même qu’ils savent que la personne qu’ils aimaient ne peut pas les entendre, mais ils s’adressent en réalité, à la représentation intérieure qu’ils ont du défunt. Ils s’imaginent la réponse qu’ils recevraient de cette personne et cela leur fait du bien.
En ce qui concerne Facebook, il y a un certain nombre de problèmes : ce qui a été publié échappe ensuite au contrôle de l’endeuillé, certains internautes n’arrivent pas à démontrer une compassion appropriée dans leurs commentaires, ou alors, ils participent à des échanges, alors qu’ils n’ont pas de connexion avec le défunt, ce qui peut déranger certains proches.
On retrouve avec l’utilisation des médias ce qu’on avait lors d’enterrements traditionnels : des personnes qui sont là par convenance sociale plutôt que par réelle amitié.
Le deuil, un événement social
Il y a une vraie transformation des rites et des rituels qui accompagnent le deuil. Beaucoup de choses changent et continueront à changer, c’est certain. Cependant, tous les médias du monde ne remplaceront jamais la chaleur humaine d’une étreinte, le réconfort d’une présence physique, les échanges verbaux entre endeuillés. Comme l’écrit une maman sur le forum d’hommages.ch : « J’aimerais que nous puissions nous réunir, partager, organiser des sorties… »
De nombreuses traditions se perdent, mais de nouvelles formes de soutien prennent le relai :
- Des lignes téléphoniques de soutien
- Des cafés-deuil ou chacun peut parler de son deuil et écouter les autres
- Des groupes de soutien pour endeuillés, pour veufs et veuves
- Des célébrants laïques qui proposent des rituels adaptés aux situations particulières de certains endeuillés
- Des associations qui regroupent des parents endeuillés.
Pour revenir à la question posée par notre correspondante : Non, il n’y a pas à s’inquiéter lorsqu’une personne endeuillée parle au défunt, cela fait partie du processus de guérison, surtout lorsqu’il n’y a que 18 mois que la séparation a eu lieu.
En général, au bout de deux ou trois ans, l’endeuillé a réussi à créer de nouveaux liens et le besoin de se rendre au cimetière ou à passer du temps à échanger à propos du défunt sur internet diminue.
Si vous avez des contacts chaleureux avec votre sœur, offrez-lui de parler de son mari défunt, ou de l’accompagner lorsqu’elle se rend au cimetière, assurez-la que vous êtes disponible lorsqu’elle a besoin de parler d’elle ou de son mari.
Ne craignez pas de lui parler de son mari, d’évoquer des souvenirs positifs.
Acceptez que votre sœur soit là où elle en est, qu’elle aille à son rythme et qu’elle vive son deuil de la manière qui lui apporte le réconfort qu’elle souhaite.
Prenez aussi soin de vous. Nous vous souhaitons courage dans votre accompagnement, et à chacun de vous, amis lecteurs, nous souhaitons une très belle semaine.
Pour aller plus loin
Cimetières virtuels :
- Nous n’avons pas d’information fiable à vous transmettre ( novembre 2019)
Cafés-deuil :
- Association Vivre son Deuil Suisse, www.vivresondeuil-suisse.ch – Ligne écoute 079 412 39 63
- www.vivresondeuil5962.fr (pour description d’une café-deuil)
- www.selbsthilfeschweiz.ch (information sur toutes les sections en Suisse)
Livre : George A. Bonanno, De l’autre côté de la tristesse, Editions Le Dauphin Blanc