Le temps des vacances s’achève et nous retournons aux mails reçus et aux nombreuses situations partagées par nos lecteurs.
Voici ce que Steve nous écrit :
« L’an dernier, nous avons perdu notre fils, âgé de 6 mois, probablement d’une ‘mort blanche’ (mort subite du nourrisson). Pour nous, ses parents, cela a été un cataclysme dans nos vies. Nous n’en sommes pas encore complètement remis. Ce dont je voudrais vous parler aujourd’hui, c’est de toutes les paroles inutiles et je dirais même ‘offensives’ qui nous ont été adressées à l’occasion de ce deuil. Nous en avons parlé avec mon épouse cet été et nous avons décidé de vous écrire pour que vous abordiez cela dans une de vos chroniques qui sont lues par de nombreuses personnes.
Je vous donne quelques exemples de ces ‘paroles inutiles’ :
- Maintenant, il est un petit ange
- Il est au ciel auprès de Dieu (Je précise que nous ne sommes pas croyants !)
- Il a accompli sa mission sur terre
- De là où il est, il va vous protéger
- Vous le retrouverez au ciel
- Vous aurez bientôt un autre enfant, vous êtes jeunes
- Est-ce que vous l’aviez couché sur le ventre ? (peut-être êtes-vous responsables en d’autres termes !)
- Vous vous en remettrez, vous verrez
- Vous devriez aller dans un groupe de parents qui ont aussi vécu cela
Je m’arrête là. Je pourrais continuer car j’en avais noté plus de vingt de ces phrases stupides, souvent répétées par différentes personnes.
Dans les circonstances que nous avons vécues, il n’y a rien à expliquer. On ne connait pas les causes de ces morts blanches. Tout ce qu’on souhaitait, c’était le respect de nos croyances ou non croyances, de la chaleur humaine et le silence face au mystère.
Certains nous l’ont accordé, heureusement. »
L’inconfort face à la souffrance de l’autre
Au cours des années, nous avons souvent reçu des mails qui décrivaient les souffrances surajoutées par des paroles inadéquates ou ressenties comme cruelles par des personnes en deuil, malades, en fin de vie ou traversant d’autres drames humains. L’une des questions posées par nos correspondants est la suivante : « Pourquoi ne peuvent-ils pas se taire ? »
La plupart des gens ressentent de l’empathie envers ceux qui ont à vivre des événements douloureux, ils imaginent parfois ce que ce doit être de traverser ce drame, cela fait écho en eux et ils ressentent le besoin de soutenir, de consoler à partir de ce qui fait sens pour eux, à partir de ce qu’ils imaginent être consolant.
Voilà la difficulté ! L’autre est autre. Il a ses références, ses croyances et ce qui pourrait peut-être nous consoler, n’apporte aucun réconfort à l’autre, au contraire parfois.
Il fût un temps où, dans une culture donnée, les gens partageaient les mêmes croyances. Il était alors un peu plus facile de trouver des paroles consolantes. Aujourd’hui, dans notre société multiculturelle, en partie, postchrétienne, donner des paroles de réconfort est devenu beaucoup plus hasardeux.
C’est pourquoi, l’écoute sans jugement, sans conseil, ainsi que la présence respectueuse sont beaucoup plus appropriées. Une personne en souffrance a besoin de l’attention des autres : de quoi a-t-elle besoin, comment puis-je lui être utile, que souhaite-t-elle partager ?
Offrir une présence sincère durant le deuil
Une religieuse, aumônière d’hôpital racontait qu’un jour on lui avait demandé d’aller annoncer à l’épouse d’un employé de l’institution que celui-ci était décédé dans un accident. Lorsqu’elle vit la personne sur le pas de sa porte, elle lui demanda d’entrer et lui annonça la terrible nouvelle. Après un moment d’émotions très fortes, elle chercha à savoir si l’épouse éplorée désirait contacter quelqu’un :
– « Non, ma belle-sœur devait venir me voir, elle sera là dans trois quart d’heure ! »
– « Souhaitez-vous que je reste avec vous ? »
– « Oui, s’il-vous-plaît, mais ne me dites rien »
La religieuse resta avec cette personne, pour près d’une heure, en lui tenant la main, dans un profond silence, jusqu’à l’arrivée de la belle-sœur. Elle avait simplement offert une présence attentive. Plus tard, la religieuse reçut les remerciements de la veuve qui soulignait à quel point cette présence silencieuse et attentive lui avait permis de retrouver le calme en elle.
La philosophe Simone Weil écrit :
« L’attention est la forme de générosité la plus rare et la plus pure parce qu’elle se tourne vers l’autre et permet de nous donner totalement à lui »
Apprendre à être présent à soi et présent aux autres, voilà un apprentissage qui dure toute la vie. Il s’agit de reconnaître l’écho de la souffrance de l’autre en nous et d’accepter l’inconfort ponctuel que cela peut créer sans se sentir obligé de dire des banalités ou des consolations qui n’en sont pas pour l’interlocuteur. Des phrases comme :
- Je suis en pensée avec vous
- Je suis disponible pour vous aider concrètement si vous le désirez
Il y aurait beaucoup à dire sur la relation d’accompagnement des personnes en deuil. Ce sera l’objet d’une autre réponse à d’autres mails.
L’important est de se souvenir que ce n’est en général pas par méchanceté que les paroles prononcées sont parfois si inadéquates. L’intention est bonne dans la plupart des situations, mais l’écho en soi de la souffrance de l’autre amène à « vite dire quelque chose » pour ne plus ressentir cet inconfort intérieur.
Malheureusement, c’est à ce moment-là qu’il aurait été important de choisir le silence et d’offrir l’écoute respectueuse et la présence attentive.
A vous, cher Steve, et à votre épouse, nous souhaitons de retrouver la sérénité et à vous tous, amis lecteurs, nous souhaitons une bonne semaine.
– Rosette Poletti
Si vous aussi, vous avez une question ou un témoignage concernant votre deuil, écrivez-nous !
Pour aller plus loin
Laurence Courvoisier, La puissance de l’écoute, Ed. La Source Vive
Jean Monbourquette et Isabelle d’Aspermont, Excusez-moi, je suis en deuil, Editions Novalis
Christophe Fauré, Vivre le deuil au jour le jour, Ed. Albin Michel