La résilience
La résilience était, au départ, et est toujours une notion qui appartient à la dynamique des métaux : un métal est dit résilient lorsqu’il reprend sa forme après les coups qu’il a reçus.
Depuis quelques années, à la suite d’auteurs anglo-saxons, et en particulier Michaël Rutter, un pédopsychiatre de Londres, ce terme est utilisé en psychologie. Il s’est beaucoup vulgarisé à la suite des publications de Boris Cyrulnik. Dans cette dimension, la résilience reprend le sens qu’elle a en physique mais la dépasse. La résilience alors est la capacité à survivre à un traumatisme, à le dépasser, à l’intégrer mais elle est aussi plus que cela : la capacité à en tirer bénéfice pour davantage d’épanouissement.
Voici la définition qu’en donne Michaël Rutter :
« La résilience se caractérise par un type d’activité qui met en place dans l’esprit un but et une sorte de stratégie pour réaliser l’objectif choisi, les deux paraissant comporter plusieurs éléments connectés : une estime de soi et une confiance en soi suffisantes, la croyance en son efficacité personnelle et la disposition d’un répertoire de solutions. Elle est très nettement influencée par deux facteurs de protection : des relations affectives sécurisantes et stables et des expériences de succès et de réussite » (1985).
En fait, c’est plus une description et une tentative d’explication qu’une définition. On sent et il le confirme que pour lui il s’agit de la capacité à réagir aux changements difficiles de la vie et à en tirer profit, ce qui est tout à fait le cas du deuil dans des situations normales. Entendue en ce sens, la résilience peut être le lot de tout un chacun et se rapprocher de l’aptitude au deuil dont nous parlerons plus loin. Et cependant il existe une autre résilience beaucoup plus éclatante, plus somptueuse, celle de ceux qui ont traversé des épreuves redoutables et en ont tiré profit et qui ont réalisé une œuvre reconnue. Nous pensons bien sûr à Primo Lévi et à Bruno Bettelheim, Stanislas Tomkiewicz et il y en a beaucoup d’autres.
Il est tentant de voir dans la situation traumatique le point de départ de la résilience, alors qu’elle ne fait que révéler des capacités latentes qui lui préexistaient. Cependant pas de traumatisme pas de résilience : c’est lui qui la met en route, qui l’amène à s’exprimer, à se réaliser. En fait, la situation traumatique est double : la première, la plus profonde et la plus grave est celle qui amène à mettre en place une stratégie de survie, la seconde, ultérieure, est celle qui conduit la résilience à s’extérioriser. De quels traumatismes s’agit-il ? Si l’on pense aux enfants résilients, le traumatisme peut-être au sein de la famille où l’enfant futur résilient, est soumis au harcèlement, voire à la maltraitance, ou bien il est extérieur à la famille et vécu avec elle. Baddoura (1998) a montré, en ce qui concerne la guerre au Liban, combien les enfants peuvent être protégés par l’attitude positive de leur famille.
Tout autre est le traumatisme au cœur de la famille : l’enfant ne peut pas s’y soustraire et la situation insupportable s’étale sur une longue période de temps. La force du traumatisme est certes liée à l’action de l’agent provocateur, mais il est aussi en relation avec les capacités de réaction de celui qui en est victime.
Un des caractères du traumatisme est d’entraîner, chez celui qui le subit, un état plus ou moins transitoire de confusion et de sidération, confusion sur le plan de la compréhension, sidération sur celui des émotions. L’enfant soumis à des sévices sexuels reste tout un temps perplexe, pensant qu’il s’agit peut-être de quelque chose d’habituel, sinon normal, entre parent et enfant ou entre frère et sœur jusqu’à ce que le côté pénible, secret de ces actes, ne l’amène à les redouter sans avoir la possibilité d’y échapper. Il est même assez habituel que ces enfants se sentent coupables de ces pratiques, pensant un temps qu’ils en sont responsables.
Toutes ces pensées irrationnelles resurgissent parfois au cours du traitement psycho-thérapeutique. La sidération émotionnelle est le moyen par les enfants pour écarter la souffrance psychique. C’est une attitude souvent rencontrée chez les enfants confrontés à des deuils particulièrement difficiles. Mais cette souffrance écartée n’a pas disparu pour autant ; elle peut se manifester de manière détournée au niveau de la santé physique et dans des prises de risque dans les comportements. Souvent elle resurgit par la suite à l’occasion d’un autre traumatisme qui peut paraître mineur vu de l’extérieur ; alors la réaction paraît disproportionnée. Mais il se peut enfin que cette grande souffrance refusée puisse alimenter de sa force la mobilisation de la résilience.
Et c’est justement ce second traumatisme, même mineur, du moins en apparence, qui va amener la manifestation de la résilience.
>> Lire « Deuil et résilience (Partie 2) »
Texte de Michel Hanus, extrait de l’ouvrage « Comment surmonter son deuil ? »