Deuil et résilience
Le deuil, un des plus grands traumatismes de la vie, surtout chez les enfants, entretient avec la résilience des relations ambiguës, paradoxales, analogiques avec des ressemblances et des différences. Leurs plus grande ressemblance est que ce sont l’un et l’autre des processus d’adaptation à une situation difficile, sinon très difficile à laquelle il n’est pas possible de se soustraire au moins avant longtemps.
Un traumatisme existe au départ du deuil comme de la résilience. Tout va maintenant se jouer dans les capacités de l’enfant à y réagir. Écrasé passivement par ce choc qui le réduit à l’impuissance dans les faits de la réalité extérieure, l’enfant réagit activement à l’intérieur de lui par ce processus d’adaptation où il mobilise ses ressources. Il est évident que les traumatismes sont toujours différents, singuliers comme le sont les capacités de réaction. Aucune comparaison n’est possible. L’existence de la résilience, voire la fascination qu’elle exerce, risque de faire oublier que certaines personnes, certains enfants, n’arriveront pas à surmonter l’épreuve et resteront marqués par un deuil insoutenable.
Pour ce qui est de l’enfant, le rôle de la famille est évident dans un sens comme dans l’autre. C’est elle qui l’aidera à surmonter une situation difficile, à vivre ensemble un deuil douloureux ; c’est elle qui aura un impact traumatique particulier lorsqu’un de ses membres est à l’origine de la souffrance de l’enfant. A cet égard, Rutter a particulièrement étudié l’évolution des enfants de malades mentaux et a constaté que certains s’en sortaient bien à deux conditions : qu’ils comprennent que leur parent est malade et qu’ils trouvent appui dans une autre famille proche où ils puissent se retrouver en période de crise. Une autre ressemblance du deuil et de la résilience est que l’un et l’autre s’inscrivent dans le temps ce qui est la conséquence de leur aspect dynamique. Ils n’existent que dans un temps donné, à un moment donné et sont susceptibles de se modifier, de se transformer au fil du temps. Déjà la résilience, processus au long cours, a mis du temps à se constituer, puis à s’exprimer et il n’est pas sûr qu’elle demeure très longtemps au-delà du moment où on la constate.
Cette aide extérieure nécessaire aux enfants de malades mentaux pour s’en sortir est aussi nécessaire dans la résilience comme pour un deuil chez l’enfant. Pour la première, Cyrulnik l’appelle « tuteur de résilience » et, pour ma part, j’ai parlé de « rencontre » (Hanus 2001). L’enfant futur résilient rencontre un adulte qui le comprend à demi-mots sans le pousser à partager ses malheurs, qui le soutient, qui le valorise, qui croit en lui et en ses capacités. Il aide cet enfant à reprendre confiance en lui, il aide à reconstruire le monde relationnel où les autres ne sont pas que des persécuteurs mais peuvent se révéler être des alliés ; il redonne confiance dans l’existence d’adultes sains et bienveillants. Au fond, ils restaurent l’estime de soi et la confiance dans ses capacités.
Un autre point commun du deuil et de la résilience est qu’ils engendrent de la révolte, de la colère et des sentiments d’injustice chez les enfants soumis aux traumatismes. Ces sentiments, souvent très forts même s’ils ne sont pas toujours clairement ressentis au début, sont souvent porteurs d’une grande énergie car il s’agit, pour ces enfants de prendre une revanche sur les autres et sur la vie. Ici commence à se poser la question de savoir comment ces sentiments négatifs et douloureux, tout comme la souffrance écartée, peuvent se transformer en cette force de résilience. Les enfants en deuil, lorsqu’ils ont pu surmonter en partie leur épreuve font souvent preuve de telles capacités et choisissent alors des métiers d’aide aux autres : ils deviennent soignants, médecins, travailleurs sociaux et donnent l’impression de vouloir réparer le monde, comme s’ils voulaient après coup remédier au malheur qu’ils ont vécu.
Au fond, pour répondre à cette question il devient nécessaire de s’interroger sur les fondements de la résilience et là encore Rutter va nous aider. Dans la définition donnée au début, il parle d’estime de soi, de confiance dans ses capacités, de relations affectives sécurisantes et stables et d’expérience de succès. Tout n’est pas sur le même plan. L’estime de soi et la confiance en ses capacités sont proches. Pour que la résilience puisse s’y accrocher gageons qu’elles lui sont, en partie, antérieures mais en partie seulement dans la mesure où le fait d’arriver à surmonter l’épreuve, à y survivre donne aussi confiance en soi. L’estime de soi est liée au sentiment d’identité et de valeur personnelle : la confiance en soi en découle mais intéresse ses capacités d’action. L’estime de soi se forge à partir de l’intérêt des parents, de leur reconnaissance, de leur estime, de leur amour qui manifestent bien que cet enfant a de la valeur, ce que lui ressent bien. Là se trouvent les fondements et de la résilience et de la capacité de l’enfant à vivre son deuil : des relations précoces positives, satisfaisantes antérieures aux perturbations qui viendront par la suite. Le petit enfant a reçu des forces qu’il conserve et qu’il va déployer.
Mais il y a aussi des différences entre deuil et résilience : le premier se vit dans la douleur qui a besoin de s’exprimer pour pouvoir être dépassée ; la seconde met la douleur de côté, elle l’anesthésie, elle refuse si bien qu’elle reste. La résilience amène toujours à se poser la question du devenir de la blessure qui l’a fait naître : la résilience à quel prix ? Qu’en est-il de cette souffrance ancienne ? La réussite de la résilience en est-il venue à bout ? Autre différence : l’endeuillé est habituellement amené à demander et à accepter de l’aide : le résilient ne compte que sur lui-même. Il a profité de la ou des rencontres ; il a besoin de la reconnaissance des autres mais il ne demande pas d’aide. Il est seul.
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Texte de Michel Hanus, extrait de l’ouvrage « Comment surmonter son deuil ? »