Du deuil à la résilience
Les difficultés, les complications et les pathologies du deuil retiennent davantage l’attention dans la mesure où l’accompagnement du deuil cherche justement à les prévenir mais le deuil n’a pas que des effets négatifs bien au contraire. La plupart des deuils, leur grande majorité qui se vivent normalement et évoluent correctement avec le temps et l’aide affectueuse de l’entourage, voire avec une aide extérieure supplémentaire, ont des effets bénéfiques. Même les deuils très difficiles comme la mort d’un enfant ou le deuil après suicide peuvent à terme, entraîner des conséquences positives, ce dont attestent certains endeuillés après plusieurs années d’évolution mais ce n’est évidemment pas une chose que l’on peut dire au début aux personnes qui sont soumises à de telles épreuves.
Traverser une épreuve, surmonter un traumatisme – la mort d’un être très aimé – donne le sentiment de sa force, de sa capacité à surmonter les chocs de la vie. Affronter une souffrance que l’on n’a pas cherchée et la surmonter au fil du temps renforce la confiance dans ses capacités à faire face aux difficultés ultérieures qui ne manqueront pas d’arriver dans l’avenir.
Le deuil a encore d’autres conséquences positives. La première concerne le vécu de la souffrance. La souffrance du deuil est particulière car elle a un sens : c’est le signe, la manifestation, la conséquence de l’amour portés à la personne qui est morte. Les endeuillés disent souvent : « si je ne l’aimais pas je n’aurais pas mal ! » et considère cette douleur comme sacrée : elle est le lien avec le disparu, le sceau de l’attachement, de la fidélité. Elle est insupportable, mais ils ne veulent pas la voir disparaître, tout en sentant qu’elle s’atténuera cependant avec le temps. Il leur faudra seulement comprendre que même en souffrant moins, ils aiment tout autant la personne morte. Tant de personnes déprimées, anxieuses, malheureuses souffrent sans savoir l’origine de cette souffrance qui leur paraît insensée et indépassable parce qu’incompréhensible. L’endeuillé est dans une autre situation : lui sait pourquoi il souffre. C’est aussi la raison pour laquelle dans l’accompagnement, il ne saurait être question de penser, encore moins de vouloir, consoler la personne en deuil : tout juste pouvons-nous tenter de l’accompagner.
Le deuil encore nous parle de la mort et c’est sans doute aussi ce qui le rend si douloureux. Devant le cadavre de la personne aimée dans son cercueil, alors que quelques heures avant elle était vivante auprès de nous, nous sentons que nous aussi nous mourrons un jour, un jour nous serons là à sa place, morts nous aussi. Et la plupart du temps, sauf à être très malades, nous ne savons pas dans combien de temps. Les jeunes pensent que la mort touche les vieillards mais ne peuvent manquer de se rappeler quelques camarades qui sont morts à leur âge. Les plus âgés, lorsqu’ils ne ferment les yeux, savent que leur mort est proche mais, s’ils ne sont pas trop malheureux, espèrent encore une certaine durée de vie. N’importe un jour nous mourrons : le deuil nous le rappelle : il nous le montre. Alors la valeur des choses se modifie. Ce qui paraissait jusque-là essentiel : le succès, le confort, l’argent se relativise, perd de son importance car au moment de notre mort tout cela comptera peu. Par contre, des valeurs intérieures comme la solidarité, l’humanité, l’entraide, la spiritualité, le besoin de paix, toutes ces valeurs morales reprennent de l’importance, car elles permettront d’aborder plus sereinement l’heure de sa mort.
Autre bénéfice du deuil, lorsque le bénéfice il peut y avoir, c’est la modification du sens du temps. La mort rappelle que le temps ne nous appartient pas et quel que soit notre âge elle peut survenir à tout moment : alors c’est dans le présent d’aujourd’hui, le présent de chaque moment qu’il faut vivre sans penser hier, jadis, sans penser demain on verra plus tard. A la grande question : « peut-on se préparer à sa mort ? » nous n’apporterons pas ici de réponse, mais le deuil, lui, le montre et il le fait.
>> Lire « Deuil et résilience – Conclusion »
Texte de Michel Hanus, extrait de l’ouvrage « Comment surmonter son deuil ? »