Et le deuil…
Après les formidables progrès de la médecine et les avancées constantes des Soins Palliatifs, il reste tout de même que chacun d’entre nous va mourir… et que nous sommes entourés de personnes en deuil.
La mort gagne toujours –in fine- mais il y a des survivants !
Des survivants qui vont affronter l’épreuve la plus difficile : la douleur du deuil, cet « état affectif provoqué par la mort d’un être cher ».
Chaque deuil est unique comme chaque personne est unique. Et ce qu’il importe de dire c’est que la douleur est étroitement liée à l’attachement qui existait. Ainsi, dans un même cercle familial, pour le décès de la même personne, chacun des membres réagit en fonction des liens au disparu, et de l’investissement affectif.
On trouve différents grands facteurs qui influent sur le deuil :
- Les circonstances de la mort
- La personne concernée
- L’état physique et psychique
- Le soutien apporté
- Après une « longue maladie » ;
- Le long mourir des personnes âgées ;
- La mort à l’hôpital, en soins palliatifs ;
- La mort subite (événement cardiaque ou autre) ou une courte maladie ou opération ;
- La mort par accident, par suicide ;
- Les personnes âgée ;
- Les adulte dans une famille ;
- Le bébé et tout ce qui entoure la grossesse et la natalité ;
- Une santé fragile, à un moment difficile ;
- L’intensité et la durée des émotions ;
- La fatigue extrême ou la « retombée » du courage après une période d’accompagnement.
- Un entourage aidant ou la solitude.
Et n’oublions pas que l’annonce du décès (même attendu) est aussi l’acte de naissance du deuil : il s’inscrit indélébilement au cœur, et dans la mémoire.
Mais qu’est-ce que le deuil ?
Les philosophes, psychiatres, psychologues, écrivains sont d’accord pour décrire un déroulement en plusieurs phases.
Lorsque je me hâte pour prendre le train à la gare et que j’arrive quelques secondes après son départ comment vais-je réagir ?
D’abord j’ai du mal à y croire, et puis je suis en colère. Je suis ensuite un peu « secouée » mais bien obligée de me rendre à l’évidence de trouver une autre solution, un autre train.
Ce qui ne m’empêche pas de penser ensuite que j’aurais dû… que j’aurais pu… que j’ai raté une opportunité etc…
Cet exemple un peu trivial figure pourtant bien ce qui se passe dans le deuil.
- après l’annonce de la mort : c’est un choc, une sorte de sidération. Le déni de la réalité est courant, le mauvais rêve va s’arrêter, mais c’est une protection psychique.
La personne en deuil peut passer d’une extrême agitation à une totale inertie et cette période peut durer plusieurs heures ou plusieurs jours.
Au niveau physiologique : le deuil est un état de stress majeur dans les premiers jours puis devient chronique.
L’annonce du deuil entraîne une réaction chimique.
Le système hormonal par l’hypothalamus et l’hypophyse reçoivent l’information de la nouvelle, puis les surrénales prennent le relais et vont déverser dans l’organisme de l’adrénaline (hormone du stress aigüe), c’est cette hormone qui nous fait fuir ou nous pétrifie.
Ensuite le cortisol provoquera le stress chronique et se maintiendra sur la durée. Ces hormones créent l’état d’épuisement, mettent à l’épreuve l’organisme, entraînent une baisse de l’efficacité du système immunitaire ce qui rend fragile face aux bactéries et virus (plus de rhumes, d’angines, de bronchites…). Les personnes, porteuses de maladies chroniques, peuvent remarquer un accroissement de leurs symptômes.
L’état de fatigue dû au stress provoque une diminution des capacités de mémorisation, de concentration, d’apprentissage.
Ces deux hormones épuisent peu à peu le corps.
La phase qui suit est une entrée lente dans un « vécu authentiquement dépressif » avec une perte de sens, d’appétit, de sommeil, de libido, de compétence professionnelle. Certains se lancent dans une hyperactivité qui rassure l’entourage admiratif, ou une recherche de ce que représentait la personne décédée : la course aux souvenirs (vêtements, lieux de vie, de vacances) et aux photos (une amie me demandait sans cesse de refaire et de distribuer des photos de son fils écolier)
Le tumulte du chagrin, de la culpabilité, de la recherche de sens préparent cette phase de déstructuration à une lente remontée vers la phase de restructuration dans ce travail psychique, se fait par petites touches.
L’endeuillé retrouve de petits coins de ciel bleu, de nouveaux investissements possibles, une intériorisation positive de la relation vécue ; les auteurs parlent de « vivre son deuil et grandir ». Mais ce processus, qui peut prendre de longs mois et même plusieurs années, n’est pas forcément linéaire et des retours en arrière sont possibles. De plus on constate que chaque nouveau deuil peut réactiver la douleur d’un deuil plus ancien.
Dans ce « travail de deuil » comment venir en aide ?
Le Docteur Michel HANUS, au sein du Mouvement des Soins Palliatifs va créer en 1995 à Paris l’association Vivre Son Deuil. Son extension à toute la France, son alliance avec la Belgique et la Suisse constitueront le terreau de la Fédération Européenne Vivre Son Deuil.
La mort prématurée de son fondateur en avril 2010 est un coup difficile car Michel était un visionnaire, intuitif compétent, infatigable et inventif; ses nombreux livres, articles, conférences en attestent.
Le soutien aux endeuillés passe par de nombreuses actions concrètes :
- L’écoute est primordiale : au téléphone, lors des entretiens, des groupes de parole.
- Elle valide ce que vit la personne, sans jugement, respecte et comprend qu’il n’est pas question d’oubli ou de consolation.
- D’autres formes d’aide se créent peu à peu : on trouve des médiations possibles dans le dessin, la marche, le théâtre, les mandalas, l’écriture, le photolangage, le café-deuil, le chant et pourquoi pas la cuisine.
- Et l’échange -indispensable- avec d’autres associations…
- Des formations pour les professionnels et les bénévoles qui veulent aller plus loin, et prendre en charge des deuils spécifiques, deuil périnatal, deuil des enfants, des adolescents, deuil après une mort violente ou traumatique, deuil et grand âge ou lié aux maladies de type Alzheimer, communication au-delà de la parole, deuil résilients, groupe de parole des adultes en deuil, ateliers d’enfants en deuil, l’écoute et l’entretien de face à face avec les endeuillés.
Et n’oublions pas une mission très importante : faire reconnaître le deuil dans la société, la famille, l’école, l’entreprise.
Par le passé le deuil et ses rites étaient bien visibles : veillées, habillement, cérémonies… Aujourd’hui on cache la mort comme si elle était une honte, un échec que l’on rend moins inacceptable en le taisant.
C’est entre autres pourquoi, nous participons à l’élaboration d’une « charte de la personne endeuillée » qui a été adoptée par un petit nombre d’entreprises. Autour d’une table, avec ceux qui sont convaincus que dans notre société nous pourrions apporter une aide : mettre en place un guichet unique de déclaration de décès, des facilitations pour obtenir des billets d’avion ou de train, des aménagements pour la reprise du travail, les propositions sont nombreuses ! Mais on imagine les réticences rencontrées, du fait du tabou de la mort, mais parfois par les endeuillés eux mêmes, par peur d’être ostracisés.
En conclusion, si le silence est impossible et les mots dérisoires : le deuil existe, rendons visible le soutien qui peut être apporté, et n’oublions pas que c’est en chacun d’entre nous que nous trouverons les ressources pour continuer à vivre.
Suzanne CHOFFEL